DÉCISION

DÉCISION
DÉCISION

La réflexion moderne sur la question de savoir quel parti prendre lorsqu’on se trouve confronté à un choix difficile a été esquissée pour la première fois par Blaise Pascal, au XVIIe siècle, dans le fameux texte du «pari» sur l’entrée dans la religion chrétienne. Par contraste, c’est le domaine frivole des jeux de salon qui a suscité au XVIIIe siècle les contributions les plus éminentes des chercheurs. Les noms de Buffon et de Daniel Bernoulli sont ainsi attachés à l’exemple resté le plus célèbre de ces problèmes de jeux, dit paradoxe de Saint-Pétersbourg (1738), dont la solution divise encore aujourd’hui les spécialistes. Dès 1712, Waldegrave avait proposé, sur l’exemple d’un jeu particulier, le principe du minimax, dont la démonstration générale sera fournie (après bien des hésitations de la part des mathématiciens sur la possibilité même qu’un tel principe existe) en 1928 seulement, par J. von Neumann. De façon apparemment surprenante, ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle, puis surtout au XXe siècle, que les problèmes les plus simples, relatifs aux situations dénuées de risque ou d’incertitude, seront abordés. Le développement extraordinaire du calcul économique et de la recherche opérationnelle fournira ensuite aux problèmes logistiques et stratégiques de la Seconde Guerre mondiale, puis aux problèmes économiques de la reconstruction et à ceux de la gestion des entreprises, des solutions jusque-là inespérées. Le support puissant de la technologie informatique a eu des effets en retour sur la conception des modèles proposés et a permis d’apporter des solutions nouvelles à certains des problèmes soulevés.

La modélisation de la décision n’a cependant pas pour seule importance – ce qui serait déjà considérable – d’aider à arrêter des choix d’investissements, de gestion de stocks, de concession dans une négociation ou de stratégie à long terme d’une entreprise. Elle intéresse de façon primordiale les économistes, les sociologues et autres spécialistes des sciences sociales pour représenter les comportements d’acteurs dans les systèmes qu’ils étudient. On parle dans ce dernier cas de modèles descriptifs de décision, par opposition aux modèles prescriptifs ou normatifs évoqués précédemment. Les deux perspectives sont différentes, et quelques jugements ont sans doute été émis de façon excessive en raison de la confusion des deux finalités. La question de savoir si, et à quelles conditions, tel modèle de décision descriptif peut aussi être utilisé à des fins prescriptives est l’une des plus difficiles de l’épistémologie de la discipline. On verra plus bas que des progrès ont été accomplis dans ce programme de recherche très actuel.

La mémoire collective comme l’étymologie s’accordent pour faire émerger du mot «décision» (de-cidere) l’idée de coupure (caesura) , de rupture, et donc de tension préalable. Keine Wahl ohne Qual (Il n’y a pas de choix sans tourment), dit un proverbe populaire allemand. Aussi, les modèles de décision mettent-ils pour la plupart en scène une tension entre des croyances – celles-ci pouvant être clairement perçues ou floues – et des désirs – clairs ou flous à leur tour. L’arbitrage se fait sous l’égide d’une rationalité et selon des modalités qui dépendent fortement du type de turbulence de l’environnement – stable, risqué, incertain, stratégique. On aperçoit ainsi que le mot décision désigne à la fois, en français, le produit de la réflexion et le processus de réflexion ou de calcul lui-même, tandis que l’anglais sépare, à juste titre, decision de decision-making . En même temps, le quadruplet – croyances, désirs, rationalité, turbulence de l’environnement – ouvre sur une typologie possible des nombreux modèles de la décision.

Herbert Simon a proposé, dans plusieurs articles et ouvrages des années soixante et soixante-dix, un schéma de la prise de décision suffisamment général pour pouvoir être reconnu comme un véritable modèle canonique de la décision. Ce modèle distingue quatre phases du processus de décision (fig. 1):

– une phase de diagnostic d’un problème et d’exploration-reconnaissance des conditions dans lesquelles il se pose: c’est la phase d’intelligence (au sens militaire de renseignement);

– une phase de conception et de formulation de voies possibles offertes à la résolution du problème: c’est la phase de conception;

– une phase de choix d’un mode d’action particulier parmi les actions possibles: c’est la phase de sélection;

– enfin, une phase d’évaluation, en regard des trois phases précédentes, de la solution provisoirement retenue comme satisfaisante. Cette phase, qu’on appellera phase de bilan, peut déboucher sur la réactivation de l’une des trois phases précédentes ou, au contraire, sur la validation de la solution, reconnue comme finalement satisfaisante.

Grâce à ce modèle canonique, on peut illustrer clairement les différences entre les modèles de décision disponibles. Joint au type de turbulence de l’environnement, le modèle canonique I.C.S.B. permet en effet de dégager une typologie commode.

Après l’examen des quatre types de modèle que l’on peut ainsi distinguer, on étudiera les liens entre décision et calcul économique.

1. Le décideur en avenir certain

C’est le modèle conçu à l’origine et principalement utilisé encore par les économistes. Il s’agit d’expliquer le comportement d’un «décideur» – hypothèse simplificatrice commode – que l’on qualifie selon les besoins de «consommateur» ou de «producteur».

Dans le cas du consommateur, les «croyances» sont représentées par un «ensemble des possibles» X, contenant les paniers de biens ou de services dont le décideur peut envisager la consommation. Les «désirs» sont représentés par une relation binaire, dite relation de préférence, définie sur X et permettant de comparer deux à deux les paniers de consommation. Ceux-ci sont représentés par des vecteurs x = x 1, ..., x i , (le nombre i de biens est supposé fixé), qui sont les éléments de X. Sous certaines conditions, on montre que la recherche d’un plus grand élément dans une région de X revient à maximiser une «fonction d’utilité» U(x ), à valeurs réelles, dans la région considérée de X. Enfin, les croyances du consommateur sont complétées par une donnée d’ordre institutionnel, la contrainte budgétaire. Si le vecteur des prix est p = p 1, ..., p i , et si le revenu disponible est R, cette contrainte s’écrit (p . x ) 漣 R 麗= 0, où p . x est un produit scalaire. Le problème du consommateur peut alors être écrit sous la forme d’un programme mathématique simple:

Pour p et R (conditions d’environnement) donnés et pour U révélé, l’observateur peut alors prédire la décision du consommateur x 0, en ayant recours à la technique des multiplicateurs de Lagrange ou de Kuhn et Tucker.

Dans le cas du «producteur», le problème est légèrement différent, mais isomorphe au précédent du point de vue de la décision. Celle-ci consiste en effet à sélectionner une combinaison productive y = y 1, ..., y i de divers biens et services permettant de transformer les inputs (matières premières, produits semi-finis, services) en outputs (biens de consommation finals). Les croyances du décideur sont ici ramenées à un ensemble des transformations technologiques le plus efficaces possible. Cet ensemble est supposé représentable par une fonction, écrite, ici, sous forme implicite, f (y ) = 0. Quant aux désirs du producteur, ils sont ramenés à la recherche du profit maximal. Ce dernier peut être écrit, si les inputs sont notés négativement par convention, comme le produit scalaire p . y . Le problème de décision du producteur peut donc être écrit comme le programme mathématique simple:

Ce programme, pour f et p donnés, est soluble par les mêmes techniques que précédemment.

La version des modèles économiques de décision que l’on présente ici est bien entendu la plus fruste. Mais les perfectionnements apportés par les économistes à leurs modèles ne modifient pas, du point de vue de la décision, leur conception d’ensemble. Celle-ci se caractérise par quatre traits:

– ignorance des phases d’intelligence et de conception, dont le résultat est supposé faire partie des croyances du décideur dès le départ (ensemble des possibles, forme du problème); la phase de sélection est jugée suffisante pour modéliser la décision;

– ignorance de la phase de bilan, même pour un simple bouclage sur la phase de sélection, puisque celle-ci est seule modélisée, et «linéarité», en conséquence, du raisonnement;

– recours à une modalité de rationalité forte puisque optimisant le critère (unique) retenu («utilité» pour le consommateur, profit pour le producteur);

– réduction de la complexité du système de pilotage par la sorte d’hypostase du décideur.

Une telle conception de la décision, même en se plaçant dans l’hypothèse d’avenir certain, semble aujourd’hui difficilement justifiable. Elle ne peut être admise en discussion que dans deux cas.

D’une part, les économistes et certains sociologues peuvent faire valoir que, lorsqu’il s’agit de représenter (problématique de la description) les comportements de consommation et de production d’agents suffisamment nombreux, cette conception peut représenter un compromis acceptable eu égard à la limitation des ressources disponibles pour la recherche dans toute société. La discussion de cet argument dépasse le cadre du présent article. Bornons-nous cependant à constater que la non-validation systématique, par les économistes et sociologues, de leurs modèles de décision des acteurs rend les tests sur le fonctionnement des systèmes étudiés très fragiles: c’est la critique de l’«économie en chaise longue», due notamment à H. Simon. Mais on peut montrer aussi que les sociologues admettent un peu trop facilement des changements de désirs des acteurs pour justifier tel explicans d’un phénomène étudié.

D’autre part, on peut faire valoir que ce modèle «traditionnel» de la décision individuelle peut aussi être utilisé à des fins prescriptives dans les domaines purement techniques, et en particulier pour la gestion à court terme d’un parc d’équipements ou d’un chantier. Les phases d’intelligence et de conception sont alors souvent triviales, et les quatre hypothèses implicites relevées plus haut peuvent être admises au moins en première approximation. C’est sur ce créneau spécifique de la gestion de la production et de la gestion financière que fleurissent, surtout depuis les années cinquante, les nombreux modèles de la recherche opérationnelle et du calcul économique. Leur fondement conceptuel est le modèle du producteur (dans quelques cas celui du consommateur) cité ci-dessus. Leurs bases techniques sont la théorie des graphes (cf. théorie des GRAPHES), l’analyse mathématique de la convexité [cf. CONVEXITÉ] et la programmation mathématique, linéaire, non linéaire et dynamique, ainsi que la théorie du contrôle (cf. PROGRAMMATION LINÉAIRE et recherche OPÉRATIONNELLE).

Au-delà des deux domaines que l’on vient de citer, de nombreuses utilisations abusives des modèles précédents ont été faites. Elles ont débouché sur de sérieuses désillusions.

2. La décision organisationnelle

Pour pallier de telles déconvenues, de sérieux efforts de recherche ont été entrepris, au terme desquels on peut dégager trois catégories de modèles.

Le modèle S.T.I.

Le vocable «système de traitement de l’information» permet de désigner commodément la lignée des modèles issus de la pensée de H. Simon. Cet ensemble de propositions se fonde sur quatre remarques critiques vis-à-vis des applications un peu hâtives du modèle précédent.

– Les décisions ne sont pas toutes de même nature ni de même niveau. Certaines sont telles qu’un automate, correctement informé et programmé, est en mesure de les prendre aussi bien – voire de façon plus fine – que l’homme lui-même, dont la capacité purement combinatoire est singulièrement limitée. On les appellera décisions «programmables». Mais, dès lors notamment que des ensembles humains ou des interfaces hommes-machines sont concernés, les décisions sont de l’ordre du «non-programmable». Gommer les phases d’intelligence et de conception du processus de décision est alors une réduction inacceptable.

– De façon plus générale encore, une conclusion identique s’impose lorsqu’on remarque que les ensembles de possibles ne sont jamais faciles à explorer. Or le meilleur général n’est sans doute pas celui qui réalise le dosage optimal entre aile droite et aile gauche sur un terrain donné, mais celui qui sait imaginer une possibilité stratégique de plus, permettant d’accroître sa palette de tactiques. Il en va de même du chef d’entreprise, du préfet, ou du couple élevant ses enfants. Les phases d’intelligence et de conception sont véritablement les phases clés du processus de décision.

– On pourrait se donner pour programme de recherche de tenter de formaliser la démarche décisionnelle à travers toutes les phases évoquées. Mais on buterait très vite sur des difficultés de calcul inextricables. Une autre voie consiste à essayer plutôt de représenter – et d’améliorer – la façon dont les hommes utilisent leurs capacités de raisonnement et de traitement des informations. Au lieu de chercher à désigner une décision ambitionnant d’être optimale, il est plus modeste dans les objectifs, mais peut-être plus efficace pour le résultat, de chercher à user d’une procédure de traitement de l’information et de raisonnement plus satisfaisante. La rationalité «limitée» ou «procédurale» vient ainsi se substituer à la rationalité optimisante et «substantive» (ou «désignatrice»).

– Enfin, le fait qu’on se place dans le cadre d’une organisation comportant évidemment des services, des départements, etc., non totalement intégrés introduit une contradiction avec la nécessité, pour optimiser de façon significative, de traiter simultanément dans le temps et partout dans l’organisation l’ensemble des informations disponibles. Les problèmes de délégation et de coordination se heurtent, là encore, à d’inextricables difficultés.

Aussi, dans le modèle S.T.I., les quatre phases de la décision ne se présentent-elles pas de façon linéaire, mais en boucles. De nombreuses itérations sont nécessaires, au vu de la faible capacité cognitive des hommes et de la complexité des problèmes de décision, avant qu’un terme puisse être apporté au processus de décision. Davantage encore, chacune des phases engendre des sous-problèmes qui, à leur tour, appellent des phases d’intelligence, de conception, de sélection et de bilan. Les phases sont ainsi des «engrenages d’engrenages» (H. Simon).

Par ailleurs, le processus de décision est mis en œuvre, dans une organisation, par un système de décision, lui-même complexe et dont l’hypostase du décideur peut donner une représentation mutilante et être une source d’erreurs de décision si elle conduit à ignorer les difficultés de communication et de coordination.

Le modèle S.T.I. insiste en définitive sur les aspects cognitifs de la décision, l’acquisition et le traitement de l’information apparaissant comme plus importants pour prendre une «bonne» décision que la recherche fine illusoire d’une décision en apparence «la meilleure». Ce modèle ne saurait être classé ailleurs qu’avec les modèles organisationnels, la notion d’organisation étant centrale dans sa justification, comme on l’a vu plus haut.

Les techniques de mise en œuvre du modèle S.T.I. sont principalement celles de l’informatique, et notamment des systèmes interactifs d’aide à la décision (S.I.A.D.). Ceux-ci constituent un interface entre un ordinateur et une ou plusieurs personnes (S.I.A.D. individuel, ou S.I.A.D.I.; et S.I.A.D. de groupe ou S.I.A.D.G.). Sur la machine, on implante soit un algorithme, correspondant à la phase de sélection, soit un système heuristique pouvant aider à la créativité (aide à la phase de conception) ou, de façon plus ambitieuse, utilisant une base de connaissances (système expert). Dans tous les cas de figure, le système implanté en machine est considéré comme n’«apportant» pas «la» solution, mais comme jouant le rôle d’amplificateur cognitif, mettant l’accent sur une ou plusieurs phases du processus de décision.

Modèles critiques de la rationalité dans l’organisation

Plusieurs auteurs, se plaçant dans une perspective purement descriptive – à la différence du modèle précédent –, ont montré comment les problèmes de délégation et de communication inhérents à toute organisation conduisaient à critiquer la rationalité (optimisante ou limitée) de la décision.

Certains (Berry, Hatchuel, Moisdon...) ont fait ressortir, à la suite d’enquêtes «cliniques» dans diverses organisations, que les comportements observés s’expliquaient par une sorte de «rationalité cachée», différente de la rationalité affirmée par l’organisation, et déterminée par quatre séries de facteurs: contraintes physiques de l’organisation; normes institutionnelles de l’organisation; normes culturelles, explicites ou implicites; caractéristiques d’âge, de formation, de statut des personnes concernées.

Ainsi ont pu être expliqués certains comportements en apparence irrationnels.

D’autres auteurs, à la suite de Crozier et Friedberg, s’appuient sur le concept de système d’action concret (S.A.C.). Il s’agit d’un «ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux». L’intérêt de ce concept pour notre propos est qu’il conduit à une interprétation particulière et critique du modèle S.T.I. En effet, les critères de satisfaction ne sont ni fortuits ni purement individuels. Ils procèdent d’un apprentissage social et répondent à deux types de contraintes: des normes culturelles, apprises par les individus et produites par le corps social; des règles particulières de participation des décideurs à tel et tel S.A.C. donnés.

Or, s’il est vrai que les «règles du jeu» qui s’établissent sont elles aussi des normes de rationalité, il n’en est pas moins vrai qu’un acteur obéit aussi et avant tout, insistent nos auteurs, aux critères stratégiques minima qui lui permettent de sauvegarder son influence au sein du S.A.C. auquel il participe. Cette influence est elle-même fonction de l’ambiguïté dans la définition du rôle de l’acteur dans le système. C’est donc ce «jeu de pouvoirs» qui est le véritable apport de la rationalité limitée. Mais chercher à apprécier celle-ci par rapport à des «préférences» données et individuelles de l’acteur est vide de sens. Derrière la rationalité affichée de l’organisation, il ne se profile ni la rationalité cognitive du modèle S.T.I. ni la rationalité cachée évoquée ci-dessus, mais une rationalité à la fois limitée et stratégique.

On peut faire un pas de plus et affirmer que, derrière la rationalité affichée, il ne se cache en fait aucune rationalité, mais un simple contingent irrationnel. C’est le pas franchi par un auteur comme Sfez. Son modèle de la «non-décision» se fonde sur l’idée qu’il y a une véritable inversion de filière dans l’organisation: au lieu que les phases d’intelligence et de conception précèdent celles de sélection et de bilan, c’est la filière sélection-conception qui prévaut le plus souvent dans les grandes décisions publiques et parfois privées. L’ensemble des possibles est un mythe. On n’examine qu’un seul projet, que l’on demande ensuite aux divers services de l’organisation d’approuver, en y apportant au besoin des retouches.

Or aux schémas monorationnels il convient de substituer celui de rationalités multiples juxtaposées des différents sous-ensembles de l’organisation, chacun ayant son propre code et se forgeant de façon indépendante son image du projet examiné, qu’il retouche donc suivant sa logique propre. Il en résulte des excroissances et des lacunes, inattendues de la part des promoteurs du projet. Et pourtant, le «surcode» permettra, par une «traduction» de degré supérieur, d’attribuer un sens et un style au projet. Mais aucun des services de l’organisation ne pourra se reconnaître vraiment dans le projet finalement adopté. La décision, au sens de temps fort de la délibération et de l’action rationnelles, n’existe pas. Il y a bien des décisions produites, il n’y a pas de processus de décision rationnel.

Les modèles multicritères

En opposition aux modèles organisationnels qui précèdent, les modèles multicritères veulent fournir au modèle S.T.I. un fondement conceptuel pour des prolongements techniques possibles. Le modèle S.T.I. a en effet besoin d’outils opérationnels, sous forme en particulier de S.I.A.D. Mais comment argumenter en faveur de tel ou tel algorithme, plutôt qu’un autre, pour l’implantation en machine destinée à fournir un support à tel ou tel S.I.A.D.?

Ce qu’on pourrait appeler le paradigme multicritère apparaît comme un compromis entre le modèle S.T.I. le plus général et les modèles de la décision individuelle en avenir certain. Des quatre traits critiquables de ces derniers, déjà évoqués plus haut, les modèles multicritères ne retiennent que l’hypostase du décideur. Mais ils innovent par rapport aux trois autres, et parviennent de ce fait à tenir largement compte des problèmes de rationalité limitée, de bouclage cognitif du processus de décision et même des problèmes de communication et de délégation dans l’organisation.

Les modèles multicritères se fondent donc sur les postulats suivants:

– Les croyances (ensemble des possibles) comme les désirs (préférences) ne sont pas définis de façon stable et non ambiguë dès le départ. L’ensemble des possibles peut varier au cours d’itérations successives. Les préférences ne sont pas révélées une fois pour toutes à l’observateur mais construites avec l’analyste au cours de la phase de conception: elles sont donc, elles aussi, susceptibles d’ajustements au cours des diverses itérations du processus de décision.

– Le fait que les critères soient multiples implique la recherche d’un compromis, d’une solution acceptable par opposition à une solution optimale définie de façon rigide.

– Le fait que les critères soient multiples est destiné à aider les responsables à comprendre les positions d’autrui, à tenter de dépasser les oppositions de points de vue et à se forger une intime conviction au bout d’un nombre suffisant d’itérations. On peut ainsi tenir compte du problème de délégation dans l’organisation et s’affranchir en partie de la difficulté réelle de la monorationalité de l’organisation.

– Le fait que les algorithmes retenus soient suffisamment souples pour autoriser des itérations nombreuses et peu coûteuses permet également de résoudre la non-simultanéité d’éclosion des informations dans les diverses parties de l’organisation. L’algorithme est alors véritablement un amplificateur cognitif.

– Enfin, le compromis entre divers critères est particulièrement favorable pour faire accepter des arbitrages dans l’organisation et pour faire «internaliser» aux acteurs diversifiés de l’organisation le sens d’une décision.

Le grand mérite des modèles multicritères est d’avoir pu proposer des formalisations, au moins souples, de la décision organisationnelle. La question, dans ces modèles, n’est pas de «bien poser» mathématiquement le problème mais de «bien formuler» le problème eu égard à la réalité concernée.

Deux catégories de techniques sous-tendent les algorithmes multicritères:

– les techniques des «relations de surclassement», tendant à synthétiser de façon souple et contingente un m -uple de relations binaires partielles, définies entre des grandeurs quantifiées ou non, selon les cas d’espèces (modèles ÉLECTRE de B. Roy ou PROMÉTHÉE, de J.-P. Brans, par exemple);

– les techniques de la programmation multi-objectifs, parmi lesquelles les algorithmes non convergents sont certainement les plus proches de la logique de la rationalité limitée.

Une autre technique, répandue aux États-Unis sous l’impulsion de Keeney, Raiffa, Nair... et dite tantôt Decision-Analysis tantôt utilité multi-attribuée, est ambiguë. Elle prétend relever de la logique multicritère, mais procède par réduction de celle-ci au cas monocritère de la décision individuelle, au prix, bien entendu, d’hypothèses extrêmement restrictives. S’agissant d’utilités partielles regroupées en une utilité globale, toutes tenant compte d’un environnement risqué, la Decision-Analysis relève plutôt de la décision individuelle en univers incertain.

3. Le décideur face à la «nature»

La considération de l’incertitude de l’avenir introduit de sérieuses difficultés théoriques et pratiques pour prendre une décision rationnelle. Aussi la simplification introduite par le concept de décideur permet-elle de se concentrer sur les difficultés spécifiques de la décision en avenir incertain. On tend par ailleurs à distinguer depuis F. Knight (1921) entre les situations risquées, dans lesquelles les probabilités des événements futurs susceptibles d’avoir un impact sur le résultat de nos actions sont données, et les situations où ces probabilités ne sont pas connues, qualifiées de situations incertaines.

Le modèle canonique auquel on se référera peut être présenté comme un tableau à double entrée (fig. 2) dans lequel la première colonne indique nos croyances sur l’ensemble des actions possibles et la première ligne nos croyances sur l’ensemble des événements possibles. Dans chacune des cases apparaît la conséquence de l’action (correspondant à la ligne) conditionnelle à l’occurrence de l’événement (correspondant à la colonne). Comment choisir entre a 1 et a 2? Même à cette simple question de rationalité substantive la réponse n’est ni évidente ni unique.

La solution de Pascal et de Fermat, au XVIIIe siècle, consistait à choisir pour évaluer chaque action a j le produit scalaire (où p i est la probabilité de c ji ):

Dans le cas – auquel nous nous limiterons ici – où les c ji sont des gains monétaires, on obtient ainsi une espérance de gain de chaque action j . C’est l’action qui procure la plus grande espérance de gain qui doit être choisie. Telle est la version «monétaire» de la règle des partis commentée par le manuscrit de Port-Royal.

Cette règle, qui nous semble aujourd’hui quasi intuitive, ne l’était pas du tout à l’époque, et fut souvent contestée. Son insuffisance manifeste apparut lorsque Nicolas Bernoulli, mathématicien de talent en poste à Saint-Pétersbourg, proposa aux membres de la cour le jeu suivant: on jette une pièce en l’air autant de fois que nécessaire; si face apparaît au n -ième jet, vous gagnez 2n -1 ducats. Combien accepteriez-vous de payer pour participer à ce jeu?

Il est facile de calculer l’espérance de gain de ce jeu. Elle vaut en effet:

puisque N est infini. On devrait donc trouver nombre de personnes acceptant de se défaire de leur fortune pour participer à ce jeu. Or Nicolas Bernoulli ne trouva personne qui acceptât de miser plus de 20 ducats. Tel est le «paradoxe de Saint-Pétersbourg».

Plusieurs solutions furent proposées entre 1728 et 1732 à ce «paradoxe» (le mot est utilisé, en théorie de la décision, dans le sens inhabituel d’invalidation expérimentale d’une théorie bien établie jusque-là). Celle qui prévalut fut la solution publiée en 1738 par Daniel Bernoulli, cousin de Nicolas.

D. Bernoulli expliqua que, pour évaluer un gain monétaire x , il faut tenir compte de l’accroissement de la fortune d C = x qu’il procure, comme l’indiquaient Pascal et Fermat, mais qu’il faut pondérer cet accroissement par l’inverse du niveau C de la fortune de l’individu: un franc pour un pauvre représente psychologiquement beaucoup plus qu’un franc pour un riche. L’évaluation d’un gain x est alors donnée par la fonction d’utilité:

Dans le cas d’une perspective risquée, correspondant au choix d’une action aj donnée, c’est donc:

qu’il faut chercher à maximiser. Ce principe d’utilité espérée permet de résoudre le paradoxe. Si, en effet, V est la valeur du jeu proposé aux yeux de quelqu’un possédant une fortune C:

Si C = 0, V = 2. Pour trouver V = 4, C doit valoir environ 100. Et pour répondre V = 20 ducats à Nicolas Bernoulli, il faut qu’un individu possède une immense fortune C. Le paradoxe est donc résolu.

À la suite de von Neumann et Morgenstern (1944), de nombreux auteurs (Samuelson, Savage, Marschak...) remirent à l’honneur le principe d’utilité espérée en se référant au résultat de 1738 (mais pas à l’argumentation de D. Bernoulli) sans s’apercevoir que leurs théories étaient différentes de celle de Bernoulli. On qualifie aujourd’hui ces auteurs de «néo-bernoulliens». La fonction d’utilité S des néo-bernoulliens n’est pas définie, comme celle de D. Bernoulli, sur l’ensemble des gains (donc un sous-ensemble de nombres réels), mais sur l’ensemble des perspectives risquées ou loteries (donc un espace dont certaines dimensions sont des gains et d’autres des probabilités correspondant à ces gains, dit pour cette raison espace mixte). On doit donc écrire:

Les néo-bernoulliens affirment, de ce fait, que la forme de la fonction S rend compte de l’attitude par rapport au risque du décideur (sa concavité signifie l’aversion pour le risque). Mais une axiomatique bien choisie – en particulier le fameux axiome de la «chose sûre» ou d’«indépendance» – permet de retrouver une expression analytique identique à celle de D. Bernoulli, dans la mesure où l’espérance de S est linéaire en probabilités et s’écrit, pour une action j donnée:

Maurice Allais fut seul à s’apercevoir, au début des années cinquante, d’une part que la formulation bernoullienne ne permettait pas de tenir compte des pertes graves qu’une trop grande dispersion de la distribution des conséquences monétaires pouvait entraîner; que la formulation néo-bernoullienne, d’autre part, ne résolvait pas non plus ce problème de façon satisfaisante parce que, en bonne épistémologie, la loi de la variété requise exclut qu’on fasse jouer à la concavité de la fonction S deux rôles explicatifs à la fois: celui de la décroissance de l’utilité marginale du revenu (explicitement mentionné par D. Bernoulli) et celui de l’aversion pour le risque (explicitement revendiqué par les néo-bernoulliens).

C’est sur ce dernier terrain que le débat a été transporté dès la fin des années soixante. De très nombreuses expériences, dues à des psychologues (Kahneman, Slovic, Tversky notamment) et à des ingénieurs (de Neufville, McCord, Munera...) dans la lignée des travaux de pionnier d’Allais connus aujourd’hui sous le nom de «paradoxe d’Allais», réfutèrent la validité de la théorie néo-bernoullienne, et notamment l’axiome de la chose sûre.

Un pas important a été franchi au début des années quatre-vingt lorsque M. Machina remarqua que l’ensemble des résultats expérimentaux invalidaient la théorie néo-bernoullienne non pas de façon erratique, mais suivant un schéma systématique. Celui-ci fournit donc une sérieuse indication en vue de l’élaboration de théories nouvelles plus satisfaisantes. La tendance est au traitement séparé de l’aversion au risque, d’une part; de l’évaluation psychologique des gains, d’autre part. Deux techniques sont principalement utilisées:

– soit faire dépendre la fonction d’utilité de la distribution de probabilité, à travers l’espace de définition de la fonction d’utilité (Machina), ou de la distribution des gains à travers une expression spécifique de cette fonction se référant à des arguments psychologiques tels que la «déception» (Bell, Loomes, Sugden, Fishburn) par exemple;

– soit introduire, parallèlement à la fonction d’utilité, définie sur les gains comme chez D. Bernoulli, une fonction de déformation de la distribution de probabilités traduisant l’attitude par rapport au risque du décideur (Allais, Quiggin, Yaari).

Le traitement des problèmes d’incertitude proprement dite est moins avancé que celui des problèmes de risque. Il est vrai que J.-L. Savage, dans une très séduisante construction intellectuelle (1954), avait prétendu rendre caduque la distinction, au prix d’hypothèses supplémentaires extrêmement fortes sur la rationalité du décideur (postulat d’indépendance entre les désirs et les croyances sur les probabilités de l’algèbre des événements possibles; postulat de continuité des jugements en probabilités). On peut, par de telles hypothèses, prouver que l’observation des choix opérés par le décideur en situation d’incertitude permet de révéler une distribution de probabilités numériques unique sur les événements. Ce très important théorème donne un fondement à la notion de probabilité subjective ou personnelle. Mais sa portée est réduite par le caractère très restrictif des postulats supplémentaires exigés.

Lorsque aucun jugement en probabilité ne peut donc être avancé, le recours au critère du Maximin, importé de la théorie des jeux, est injustifié et excessivement favorable au statu quo. D’autres critères (Maximax, Hurwiczs, Laplace) sont arbitraires et peu convaincants de ce fait. M. Cohen et J.-Y. Jaffray (1980) ont élaboré un modèle de choix rationnel qui propose des fondements théoriques du comportement dans de telles circonstances.

Élaborer un modèle qui offre un compromis entre l’hypostase du décideur et le modèle S.T.I. est plus difficile encore que dans le cas certain. À toutes les remarques faites plus haut sur la communication et la circulation des informations dans l’organisation s’ajoutent ici toutes celles qui concernent les informations et les jugements sur les risques, que ces informations soient sous la forme probabiliste (à laquelle on s’est limité ci-dessus) ou sous une autre forme. Le «compromis» des modèles véritablement multicritères est très difficile à étendre en situation d’avenir incertain. Le modèle E.S.I.C. (chap. XI de Boiteux, de Montbrial, et Munier, 1986) est un premier pas dans cette direction.

4. Le décideur et les autres

Lorsque le décideur voit les conséquences de ses actes dépendre non seulement de la «nature» mais des décisions d’autres acteurs, ayant des objectifs différents des siens, trois cas sont possibles: ou la communication entre les acteurs est impossible, et chacun joue donc pour soi, face aux autres; ou les discussions et accords sont pleinement possibles et peuvent être garantis (par exemple sous l’autorité des lois, garantissant d’éventuels contrats); ou la communication est possible, mais sans garantie.

Toutes ces situations sont dites, du fait de leur caractéristique commune, situations de jeux. Les premières sont des situations de jeux non coopératifs, les secondes de jeux coopératifs, les dernières des situations de jeux partiellement coopératifs.

Lorsque, en outre, la somme des utilités (néo-bernoulliennes) des joueurs est toujours égale à zéro (notez que, s’il n’y a que deux joueurs, cela implique qu’il y a stricte opposition des intérêts des deux joueurs, situation dite de duel), on dit que le jeu est «à somme nulle», et inversement dans le cas contraire.

En matière de décision, c’est en réalité le cas particulier du duel (jeu à deux joueurs à somme nulle) qui reste pour l’instant le plus important: il se trouve en effet que, dans ce cas, la théorie des jeux recommande à chaque joueur une stratégie optimale unique. Mais ce n’est en général pas le cas dans toute autre configuration de jeu, du moins pour l’instant (cf. théorie des JEUX). Examinons donc une telle situation.

La figure 3 rappelle le problème posé par Rémond de Montmort à Nicolas Bernoulli en 1713 et résolu par John von Neumann en 1928.

Un père veut donner des étrennes à son fils. Il place dans sa main un nombre de jetons pair ou impair en dehors de la présence de son fils. Selon que le fils (joueur B) annonce pair ou impair et que le nombre de jetons dans la main du père (joueur A) est respectivement pair ou impair, on se trouve dans l’une des quatre cases de la matrice. Le couple de chiffres correspondant indique l’utilité des paiements effectués (on notera la symétrie des deux chiffres: le jeu est à somme nulle). La matrice représente la forme «normale», ou «canonique» du jeu, tandis que l’arbre représente la forme «extensive» ou «développée» (fig. 3). On notera que cette dernière contient deux informations de plus sur la situation: on sait que la nature n’intervient pas dans ce jeu. Les carrés entourant les sommets de l’arbre indiquent qu’il s’agit de choix opérés par les joueurs (A au sommet initial, B aux deux autres sommets); surtout, on sait que B est dans l’ignorance, au moment de jouer, du choix préalablement effectué par son père: c’est ce qu’indique la ligne courbe entourant les deux sommets possibles à partir desquels B devra choisir. On dit que cette ligne courbe délimite l’«ensemble d’information» de B au moment de jouer.

Ainsi, la forme extensive d’un jeu contient des informations sur la structure d’information de chaque joueur que la forme canonique ne révèle pas. Ce point peut être très important pour les jeux plus complexes que le présent exemple.

Le jeu de Rémond de Montmort n’est apparemment pas soluble, quelle que soit la représentation utilisée. On imagine en effet le raisonnement circulaire suivant:

– le fils pense que le père va jouer «pair» pour ne pas perdre plus que 1. Il décide donc de jouer lui-même impair;

– le père anticipe le raisonnement précédent du fils, et décide donc de jouer lui-même pair;

– le fils anticipe à son tour le raisonnement précédent du père, et décide de jouer lui-même pair, etc.

Montmort avait ainsi conjecturé que le jeu n’était pas soluble. En bon stratège de la recherche, John von Neumann imagina le procédé qui lui permettrait d’élargir ses possibilités de raisonnement (cf. supra , le paradigme S.T.I.) et décida de considérer les distributions de probabilité sur les deux stratégies possibles (d’où le nom de «stratégies mixtes» donné à de tels comportements) de chaque joueur: c’est la part de finesse de chacun que de dissimuler (par un comportement aléatoire dans le cas présent) le plus possible aux yeux de l’autre ses choix stratégiques!

Supposons donc que A joue pair avec la probabilité p et impair avec (1 漣 p ). B joue pair avec la probabilité q et impair avec (1 漣 q ).

L’espérance d’utilité de B (le fils) sera:
4 pq + (1 漣 p ) (1 漣 q ), expression qu’il va chercher à maximiser en q tandis que le père va chercher à la minimiser en p . La stratégie du fils sera donc (règle dite du Maximin):

tandis que celle du père sera (Maximin aussi):

Cette dernière expression peut s’écrire, en changeant de signe:

Les stratégies correspondant à (1) et (2) ne seront toutefois optimales pour chacun des deux joueurs que si elles donnent la même solution en p (stratégie mixte de A) et en q (stratégie mixte de B). Il est intuitif que, pour cela, on doive avoir égalité entre (1) et (2) ci-dessus. Or, lorsque l’expression (.,.) est donnée, on sait, par un théorème de mathématique, que l’on a:

et, en général, (1) 麗 (2), sauf cas particuliers et notamment le cas où l’expression entre parenthèses est bilinéaire (linéaire en p et linéaire en q ), c’est-à-dire le cas présent. On peut alors démontrer qu’il existe une valeur et une seule du couple (p , q ) tel que (1) = (2). C’est, en l’occurrence, la valeur:

Ainsi, pour le père, la stratégie mixte:

est optimale contre la stratégie mixte:

du fils et inversement; et cette solution est unique. Ces deux dernières indications permettent sans ambiguïté de parler de stratégie optimale pour chacun des joueurs. En effet, fit remarquer von Neumann, chaque joueur peut alors être sûr que l’autre joueur, suivant son intérêt, jouera comme on peut l’anticiper en faisant le raisonnement précédent, puisqu’il n’a qu’une solution optimale à sa disposition.

Malheureusement, le résultat n’a pas pu être étendu, pour le moment, aux jeux à n personnes. En effet, le théorème de Nash (1950) a prouvé l’existence dans un jeu quelconque – à nombre de stratégies fini – d’un équilibre tel que, pour tout joueur i :

x -i représente le vecteur des stratégies des autres joueurs que i . Il est facile de voir que ce concept, dit équilibre de Nash, est équivalent au Maximin dans le cas de deux joueurs avec U1 = 漣 U2 (somme nulle). Mais il ne s’agit pas pour autant d’une règle de choix stratégique optimal dans un contexte de jeu à n personnes, les équilibres de Nash étant en général multiples dans un jeu donné. Or, s’agissant d’un jeu non coopératif, les n joueurs ne peuvent pas s’entendre par discussion, sur un n -uple de stratégies donné, et chacun d’eux ne peut donc pas user d’une de ses stratégies d’équilibre possibles comme d’une règle de choix stratégique optimal.

Des auteurs comme Selten, Harsanyi, Myerson, Kreps et Wilson ont proposé et développé depuis 1975 des structures de jeu auxquelles on ajoute des anticipations (en probabilité) des choix stratégiques de chacun des autres joueurs. On tente ainsi de fournir une règle de décision optimale à chaque joueur avant même qu’un équilibre soit atteint. Malheureusement, ces concepts nouveaux, tous fondés sur l’hypothèse de révision bayésienne des anticipations probabilisées, sont frappés d’un défaut congénital (dû, en effet, à la nature de la règle de révision elle-même): ils ne peuvent être de «connaissance commune», c’est-à-dire qu’aucun joueur ne peut être certain que les autres suivront un raisonnement semblable au sien (Munier et Rullière, 1988). Ce point – très bien perçu par John von Neumann dans le cas du duel, où il ne pose pas problème (cf. supra ) – est rédhibitoire. Ainsi, les raffinements (actuels) de l’équilibre de Nash n’ont pas transformé la théorie des jeux non coopératifs en théorie des choix stratégiques optimaux. Kohlberg et Mertens (1986) et J.-P. Ponssard travaillent dans la perspective d’un concept de rationalité beaucoup plus «dynamique» pour tenter de progresser dans ce sens, en ayant recours à la forme extensive du jeu de façon prédominante.

Quant aux jeux coopératifs ou partiellement coopératifs, ils fournissent une analyse qualitative de ces types de conflits permettant de recommander des «arrangements institutionnels» favorables à une issue satisfaisante (A. E. Roth, 1979). Cet objectif est d’ailleurs celui que von Neumann et Morgenstern avaient initialement donné à la théorie. Mais on ne peut pas dire que ces jeux ressortissent d’une étude de la décision.

Pour l’heure, en attendant le résultat des recherches évoquées ci-dessus, l’aide à la négociation ou à la décision conflictuelle trouve son support dans des modèles semi-formalisés comme ceux du «normativisme situationnel» et de la conception des systèmes évolutifs (M. F. Shakun, 1988) ou dans les modèles plus heuristiques des sciences de l’organisation (M. J. Avenier, 1988).

5. Décision et calcul économique

La modélisation de la décision a connu en France un développement spécifique dans le domaine des choix économiques, que l’on appelle le «calcul économique». Il s’agit, par exemple, du choix d’investissements, privés ou de caractère collectif, de décisions de tarification des services publics ou, plus généralement, de décisions d’intervention des autorités publiques dans divers domaines de l’activité économique. Ce développement spécifique s’explique par le contexte culturel: d’une part, les sciences humaines et sociales se sont développées plus tardivement en France que dans les pays anglo-saxons; d’autre part, l’existence d’écoles d’ingénieurs de haute qualité a permis l’éclosion d’une lignée de brillants «ingénieurs-économistes» depuis le premier tiers du XIXe siècle environ. Ainsi, le texte le plus fréquemment cité pour situer la naissance du calcul économique moderne est celui d’un ingénieur français, Jules Dupuit, paru dans les Annales des ponts et chaussées en 1844: «De la mesure de l’utilité des travaux publics». Les noms de Walras, de Pareto, à Lausanne, de Colson en France et, plus près de nous, ceux d’Allais, puis de Boiteux, de Lesourne et de Malinvaud illustrent cette tradition.

Le calcul économique des ingénieurs-économistes est une discipline qui se rattache à la théorie économique. C’est un savoir, qui, par ailleurs, présente la caractéristique d’être né d’une pratique, celle des ingénieurs chargés de gérer une circonscription administrative dans le domaine des mines ou des routes, par exemple, et qu’il convient aujourd’hui d’élargir à des domaines plus complexes, comme ceux de la santé, du logement, de l’éducation. La place de ces contributions dans l’apport international des économistes français est considérable. La reconnaissance par les communautés scientifiques étrangères du calcul économique «à la française» – l’expression n’a pas d’équivalent immédiat en anglais – est sans conteste un acquis solide.

Il est d’autant plus frappant, dans ces conditions, que l’acceptation du calcul économique par les décideurs traverse une crise depuis la fin des années 1970. Les raisons de ces réticences peuvent cependant être mises à nu sans trop de mal: la référence exclusive à la théorie microéconomique est devenue très insuffisante dans les sociétés complexes de la fin du XXe siècle. Celle-ci propose en effet des représentations trop éloignées de beaucoup de phénomènes observables, tant du point de vue de l’évaluation des besoins ou des désirs des agents économiques que du point de vue de leurs rationalités respectives, ou encore du point de vue des interactions entre leurs comportements, voire entre leurs opinions. On sait, en particulier, que la théorie microéconomique néo-classique a posé, de façon au moins implicite et jusqu’à la fin des années soixante, que seuls les prix étaient à l’origine d’interactions entre les agents économiques. Elle a toujours posé – et continue de le faire – que les agents sont «observables» de l’extérieur, par les autorités qui en ont la charge ou par les analystes, sans qu’ils réagissent à cette observation lorsqu’elle peut conduire à une décision. En réalité, on sait que les agents économiques, loin de se contenter de s’adapter aux prix de marché, réagissent aux décisions des autres acteurs du système, notamment des pouvoirs publics, voire à la seule annonce de mise en œuvre des procédures préparatoires à ces décisions. Des considérations du même ordre conduisent à penser que les critères utilisés pour la sélection des projets, qu’ils soient publics ou privés, ne peuvent, dans nos sociétés complexes, être déterminés indépendamment des processus de décision destinés à les mettre en œuvre. Or la théorie microéconomique était, à l’origine, totalement «anorganisationnelle». Malgré de récents progrès, elle l’est restée en bonne partie.

L’échec de la «rationalisation des choix budgétaires» (R.C.B.) tient sans doute pour partie à ces lacunes. L’histoire de la pratique des ingénieurs des XVIIe et XVIIIe siècles est d’ailleurs très suggestive sur ce point: Vauban, pour décider de ses programmes de places fortes, n’usait pas des mêmes critères que les ingénieurs du génie maritime pour leurs programmes de construction de vaisseaux!

On ne saurait rester indifférent à cette crise de l’audience des ingénieurs-économistes français. Mais on ne pourra guère enrayer le mouvement par le seul recours massif à des mathématiques de plus en plus générales et abstraites, comme une autre tradition culturelle, elle aussi bien française, pourrait le donner à croire. Le véritable renouveau de la tradition des ingénieurs économistes passe beaucoup plus probablement par le recours aux sciences cognitives et de l’organisation, c’est-à-dire par les sciences de la décision. Un important programme de recherche reste à accomplir, que certains laboratoires des grandes écoles et des universités ont, à l’instar de centres pluridisciplinaires étrangers, d’ores et déjà entrepris.

décision [ desizjɔ̃ ] n. f.
• 1314; lat. jurid. decisio
1Action de décider (I, 1o), de juger un point litigieux. délibération, jugement. Soumettre une question à la décision de qqn. La décision appartient à l'arbitre. arbitrage.
2Jugement qui apporte une solution. arrêt, conclusion, décret, édit, ordonnance, règlement, résolution, sentence, verdict. Décision judiciaire. Les décisions des tribunaux ( jurisprudence) . Décision exécutoire. Décision administrative, ministérielle. Les organes de décision d'une entreprise ( décisionnaire) . Centre de décision. Le pouvoir de décision.
Dr. constit. (en France) Acte unilatéral du président de la Ve République.
3Fin de la délibération dans un acte volontaire de faire ou de ne pas faire une chose. choix, conclusion, détermination, 1. parti , résolution. Prendre une décision. décider. Revenir sur sa décision. Prendre la décision de ne plus fumer. Décision irrévocable. Ne pas hésiter à prendre une décision énergique (cf. Sauter le pas, ne faire ni une ni deux, trancher dans le vif). Obliger qqn à prendre une décision (cf. Mettre au pied du mur). Aide à la décision.
Spécialt, math. Choix du comportement optimal en fonction des informations disponibles. Théorie de la décision et théorie des jeux. stratégie. Organes de décision : ensemble des circuits d'un calculateur où s'élaborent les choix. — Choix entre deux termes d'une alternative qui peut s'exprimer dans un code binaire.
4Qualité qui consiste à ne pas s'attarder inutilement dans la délibération et à ne pas changer sans motif ce qu'on a décidé. caractère, fermeté, volonté. Agir avec décision. Elle a beaucoup de décision ( décidé) .
5Techn. (Milit.) Document relatant des ordres.
6Log. Problème de la décision : question de la décidabilité d'un système.
⊗ CONTR. Hésitation, indécision.

décision nom féminin (latin decisio, -onis) Action de décider après délibération ; acte par lequel une autorité prend parti après examen : Décision judiciaire. Acte par lequel quelqu'un opte pour une solution, décide quelque chose ; résolution, choix : C'est une sage décision. Choix des orientations d'une entreprise, d'une politique, etc. ; mesure, ordre, prix en conformité avec cette orientation : Avoir le pouvoir de décision. Qualité de quelqu'un qui n'hésite pas à prendre ses résolutions ; détermination, fermeté : Montrer de la décision dans une affaire. Droit Mesure prise par le président de la République dans le cadre des circonstances particulières prévues par l'article 16. Sentence du Conseil constitutionnel. Militaire Document transmettant aux échelons subordonnés les ordres d'une autorité militaire. Psychologie Choix entre deux comportements ou deux activités internes incompatibles. ● décision (citations) nom féminin (latin decisio, -onis) Henry Becque Paris 1837-Paris 1899 La décision est souvent l'art d'être cruel à temps. Notes d'album G. Crès Henri Bosco Avignon 1888-Nice 1976 Il arrive que les grandes décisions ne se prennent pas, mais se forment d'elles-mêmes. Malicroix Gallimard André Gide Paris 1869-Paris 1951 Il entre dans toutes les actions humaines plus de hasard que de décision. Journal Gallimarddécision (difficultés) nom féminin (latin decisio, -onis) Emploi Faire la décision = apporter un avantage décisif, en sport. C'est le but de Van der Kaepelen à la trente-troisième minute qui a fait la décision. Recommandation Locution admissible dans un commentaire sportif. Dans l'expression soignée, préférer décider du sort de la partie, de l'issue du match, et, hors du domaine sportif, apporter un avantage décisif. ● décision (expressions) nom féminin (latin decisio, -onis) Faire, créer la décision, décider par son choix, par ses actes, de la suite des événements ; être l'élément déterminant de l'issue de quelque chose. Organe, centre de décision, organisme dirigeant, d'où partent les ordres, les directives. Pouvoir de décision, pouvoir de décider, par opposition au pouvoir consultatif. Décision binaire, décision consistant à choisir entre deux possibilités et exclusivement deux. Décision exécutoire, acte unilatéral de l'Administration. Décision implicite, décision résultant du silence gardé par l'Administration pendant 4 mois à une demande d'un administré. (En principe, c'est une décision de rejet de la demande.) Décision préalable, sauf en matière de travaux publics, décision de rejet qui est seule de nature à permettre à un administré de saisir le juge administratif. Théorie de la décision, théorie fondée sur la prise en considération conjointe des probabilités et des utilités des diverses éventualités en vue de la prise de décision. ● décision (synonymes) nom féminin (latin decisio, -onis) Action de décider après délibération ; acte par lequel une autorité...
Synonymes :
- arrêt
- arrêté
- décret
- règlement
Acte par lequel quelqu'un opte pour une solution, décide quelque chose ;...
Synonymes :
- résolution
Qualité de quelqu'un qui n'hésite pas à prendre ses résolutions ;...
Synonymes :
- caractère
- cran (familier)
- détermination
- énergie
- fermeté
- volonté
Contraires :
- indécision

décision
n. f.
d1./d Action de décider; son résultat. Prendre une décision énergique. Décision de justice.
|| MILIT Document transmettant des ordres. Exécuter une décision de l'état-major.
d2./d Qualité d'une personne ferme et résolue. Montrer de la décision. Esprit de décision.

⇒DÉCISION, subst. fém.
I.— [Activité de l'esprit et son résultat]
A.— Action de décider quelque chose ou de se décider, après délibération individuelle ou collective; p. méton. résultat de cette action. Ces décisions prises qui expirent au seuil d'une porte (BALZAC, Langeais, 1834, p. 275). Toujours je reste timide devant les décisions à prendre (GIDE, Journal, 1915, p. 512) :
1. ... cet ensemble de desseins continus, de décisions mûries, de mesures menées à leur terme, qu'on appelle une politique.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, p. 4.
PSYCHOL. [Dans l'activité volontaire] ,,Choix réfléchi de l'une des issues au terme d'une délibération`` (LEGRAND 1972) :
2. On ne doit pas être dupe de l'analyse classique qui distingue dans le temps plusieurs phases de l'activité volontaire : délibération, décision, exécution. La décision ne succède pas purement et simplement à la délibération, ni non plus l'action à la décision. Les actions différées, séparées par un blanc de la décision, ne sont pas canoniques; ...
RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 187.
SYNT. Décision du sort; décision arrêtée, définitive, finale, grave, irrévocable, rapide; aboutir à, ajourner, approuver, arrêter, attendre, confirmer, connaître, ébranler, emporter, maintenir, prendre, retarder une décision; revenir sur une décision.
B.— Emplois spéc.
1. ADMIN. et JURISPRUDENCE. Disposition arrêtée par une autorité compétente, collégiale ou unique, après délibération. Quoique nous soyons appelants à la cour suprême à l'égard des décisions judiciaires (BALZAC, Corresp., 1839, p. 729). La décision ministérielle qui donnait au poste un nouveau chef (BENOIT, Atlant., 1919, p. 17) :
3. ... M. Hazard, à qui on doit la conservation de nos anciennes chartes, celle des actes de parlement, des arrêtés du conseil, des décisions des ministres, relatifs aux colonies; ...
CRÈVECŒUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie, t. 3, 1801, p. 297.
Décision exécutoire. ,,Acte juridique unilatéral d'une autorité administrative, qualifiée et compétente, produisant par lui-même des effets de droit`` (BARR. 1974).
SYNT. Décision d'une affaire; décision de l'assemblée, du comité, du concile, de la conférence, du conseil, du gouvernement, des juges, du jury, du ministre; décision administrative, arbitraire, ministérielle, politique, souveraine, spéciale; décision de principe; décisions importantes, nécessaires.
2. ART MILIT.
a) Instruction de service émanant d'une autorité militaire :
4. Le commandant rajeunissait. Tous les matins, il dictait une décision de deux pages : états à fournir, piquet d'incendie, théories, revues d'armes, exercices, paquetages carrés, répurgation, alertes de nuit, cours de perfectionnement, bal des punis dans la grande cour, tout ce service dont il avait été privé pendant quatre ans, il s'en gorgeait!
VERCEL, Capitaine Conan, 1934, p. 88.
b) Issue définitive d'un combat, d'une guerre. Aboutir à la décision définitive de la guerre (FOCH, Mém., t. 2, 1929, p. 264). C'est en France qu'il fallait chercher la décision (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 258).
P. anal. Le poids mouche Pelgrain obtint la décision sur Duhamel (La France au travail, 17 févr. 1941).
3. ÉCON. Macro-décision, micro-décision. Décisions prises par des unités complexes, simples (cf. SOURNIA 1973 et PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 306).
SYNT. Centres de décision; élaboration, exécution, pouvoir, préparation de décisions; décisions économiques.
II.— [Disposition de l'esprit]
A.— [Correspond à décidé II B 1] Qualité d'une personne qui sait prendre rapidement parti et ne revient pas sans motif valable sur ce qu'elle a décidé. Esprit de décision. Anton. hésitation, indécision, irrésolution. Cette décision d'allure, propre aux gens qui prennent une résolution (MOSELLY, Terres lorr., 1907, p. 150) :
5. ... ce perpétuel état de fluctuation d'Hamlet, ce vague où il se tient, ce manque de décision dans la volonté et de solution dans la pensée qui en fait tout le sublime.
FLAUBERT, Correspondance, 1853, p. 257.
Au fig. [Correspond à décider II B 2] Précision, netteté. La netteté de sa voix, la décision et la précision de ses phrases (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 65). La pureté, la décision de contour de quelque dieu grec (PROUST, Guermantes, 1920, p. 224).
B.— P. ext. Fermeté de caractère :
6. Il fallut le prendre sur un ton plus impératif. Pour la première fois, je montrai de la décision, de la fermeté. Elle [Malvina] se montra plus ferme, plus résolue que moi, ...
REYBAUD, Jérôme Paturot, 1842, p. 37.
Loc. Avec décision. D'une manière ferme, résolue.
♦ [Le suj. du verbe déterminé est une pers.] Avec décision, elle reprend le chemin du piano (FEYDEAU, Dame Maxim's, 1914, 2, 10, p. 53) :
7. ... Jacques aperçut son frère au bout de l'allée, il se dressa avec décision, comme s'il eût prémédité ce qu'il allait faire, ...
MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, p. 911.
♦ [Le suj. du verbe déterminé est un inanimé] Tes six cheveux! Avec décision Le démêloir en toupet les ramène (BANVILLE, Odes funam., 1859, p. 259) :
8. Elle [la Vouivre] parlait d'une voix jeune et sonore, enrichie par l'accent jurassien aux voyelles largement ouvertes, claires comme un pain blanc où les consonnes mordent avec décision.
AYMÉ, La Vouivre, 1943, p. 16.
Rem. On rencontre ds la docum. a) Décisionnaire, adj. rare. Qui tranche rapidement et d'autorité. L'orgueil intellectuel le plus décisionnaire et le plus convaincu de son autonomie (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 220). Attesté comme subst. avec un ex. emprunté à Montesquieu dans la plupart des dict. gén. du XIXe et du XXe s., à partir d'Ac. Compl. 1842, mais avec la mention ,,inusité`` ou ,,peu usité``; Lar. Lang. fr. ajoute un ex. d'emploi adj., emprunté également à Valéry. b) Décisionnel, elle, adj., néol. Qui ressortit à la décision. Centres décisionnels. La « fonction décisionnelle » constitue la tâche majeure des détenteurs du pouvoir (J. MEYNAUD, Groupes pression, 1958, p. 12). Des modèles décisionnels privés et publics (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 437). Attesté par le seul Lar. Lang. fr.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1314 « action de décider; résultat de cette action » ici contexte juridique (A.N. JJ 50, f° 39 r° ds GDF. Compl.); 2. 1676 « qualité d'une personne qui n'hésite pas » air de décision et d'autorité (SEGRAIS, Mémoires, t. 2, p. 49 ds LITTRÉ); 3. 1791 « acte volontaire, parti que l'on prend » (STAËL, Lettres jeun., p. 430), cf. 1795 sa décision et ses volontés (GENLIS, Chev. Cygne, t. 1, p. 130). Empr. au lat. class. decisio « action de trancher une question débattue; arrangement, transaction ». Fréq. abs. littér. :3 152. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 1 958, b) 1 682; XXe s. : a) 2 989, b) 9 036.

décision [desizjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1314; lat. decisio, de decisum, supin de decidere. → Décider.
1 Action de décider (I., 1.), de juger un point litigieux; son résultat. Arrêt, conclusion, décret, délibération, édit, jugement, juger (bien jugé), ordonnance, règlement, résolution, sentence, ukase, verdict. || Soumettre un cas de conscience, une question délicate à la décision de qqn. || La décision appartient à l'arbitre. Arbitrage. || L'arbitrage a la décision, le pouvoir de décider.
2 Jugement qui apporte une solution. || Décision judiciaire : résultat du délibéré d'un tribunal sur un procès qu'il doit juger; ordonnance rendue par un magistrat. || Les décisions des tribunaux ( Jurisprudence). || Rendre des décisions dans un débat judiciaire. || Prendre une décision qui annule une décision antérieure ( Cassation; déjuger).
Décision administrative. Décret; arrêté. || Décision ministérielle, préfectorale.Décision de rejet. Rejet. || Décision exécutoire. Exécutoire. || Motifs d'une décision. || Décision motivée. || Le bien-fondé d'une décision. || Les Décisions de Justinien ou les cinquante décisions.
Les décisions d'un Concile. Article, canon…
1 Ne voulant d'autre règle de la foi que les décisions du concile de Nicée.
Fléchier, Hist. de Théodore, III, 50, in Littré.
Les décisions d'une Assemblée législative. Loi, règlement.
Les décisions des dieux païens. Oracle.
Spécialt, techn. (milit.). Document relatant des ordres. Rapport (réponse au rapport).
3 Fin de la délibération dans un acte volontaire qui entraîne le choix de l'action. Choix, conclusion, détermination, parti, résolution. || Prendre une décision. Décider. || Incapacité de prendre une décision ( Aboulie, cit. 1). || Prendre la décision de ne plus fumer. || Argument, événement qui emporte la décision. Certitude, conviction. || Consulter avant d'arrêter sa décision. || Justifier, motiver sa décision. || Décision réfléchie. || Décision irrévocable. || Sa décision est bien arrêtée. → Il est à cheval là-dessus. || Prendre une décision à la légère. Caprice. || Décision hasardeuse. || Une décision s'impose. || Ne pas hésiter à prendre une décision énergique (→ Faire le saut, sauter le pas, le fossé, ne faire ni une ni deux, couper, trancher dans le vif). || S'en tenir à sa décision. || Forcer une décision. || Obliger qqn à prendre une décision (→ Mettre au pied du mur; arracher, cit. 36). || Peser (cit. 24) sur la décision d'autrui.
2 (…) car on sentait que, la décision prise, tous devaient concourir à son exécution, que plus la position devenait périlleuse, plus il y fallait de courage (…)
Ph. P. Ségur, Hist. de Napoléon, VI, 2, in Littré.
2.1 Généralement, dès qu'il avait pris une décision, la décision contraire lui paraissait à partir de ce moment comme infiniment préférable.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 412.
3 À ce moment, il se rend compte que sa décision est prise; que demain matin rien ne pourra l'empêcher de se lever de bonne heure, de soigner sa toilette, d'aller chez le commissaire. Mais il veut savoir pourquoi il faut y aller.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, p. 125.
4 Vous n'avez qu'à écouter, qu'à recevoir mes ordres, — à vous conformer à mes décisions irrévocables.
F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, IX, p. 162.
5 Tout geste est une décision. Respirer, c'est opter.
G. Duhamel, Récits des temps de guerre, II, p. 10.
Aviat. || Hauteur de décision : hauteur à laquelle le pilote doit obligatoirement voir le sol pour être autorisé à atterrir. || Vitesse de décision : vitesse au sol au-dessus de laquelle le décollage doit obligatoirement être poursuivi.
Cybern. Choix du comportement optimal en fonction des informations disponibles. || Théorie de la décision et théorie des jeux. Stratégie. || Organes de décision : ensemble des circuits d'un calculateur où s'élaborent les choix.
(1957, in Blanché). Log. || Problème de la décision : question de la décidabilité d'un système.
5.1 Et surtout il existe un système d'opérations portant non pas sur la connaissance des structures, mais sur le réglage des forces à disposition, et la théorie des jeux lui a donné un statut sous le nom de « décision » : c'est la volonté, dont l'explication n'a cessé de faire problème et difficultés chez les psychologues.
J. Piaget, Épistémologie des sciences de l'homme, p. 328.
4 Résultat final d'une affaire. Solution. || Attendre la décision. || Se battre jusqu'à une décision.
6 Et plus d'une année se passe sans amener la « décision ».
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 190.
Milit. Issue d'un combat, d'une guerre.
5 Qualité du caractère d'une personne, qui consiste à ne pas s'attarder inutilement dans la délibération et à ne pas changer sans motif ce qu'on a décidé. Audace, caractère, courage, énergie, fermeté, hardiesse, volonté. || Agir avec décision. || Faire preuve d'un esprit de décision. || Il a de la décision. || Un air, un ton de décision ( Décidé, décisif).
7 M. de la Rochefoucauld était doux, complaisant, agréable, insinuant; et il n'avait pas cet air de décision et d'autorité qu'avait M. de Montausier.
Segrais, Mémoires, t. II, p. 49, in Littré.
8 L'Assemblée semblait avoir perdu toute vertu de décision, et ses décrets étaient purement négatifs.
Jaurès, Hist. socialiste…, t. IV, p. 131.
9 Me sentir regardé, jugé, admiré, stimulait toutes mes facultés, exaltait mon audace, mon esprit de décision, le sentiment de ma puissance, donnait à ma volonté un élan irrésistible.
Martin du Gard, les Thibault, t. IX, p. 250.
CONTR. Atermoiement, délibération, hésitation, incertitude, indécision, indétermination, irrésolution, perplexité, tergiversation, vacillation.
DÉR. Décisionnaire, décisionnel.
COMP. Indécision. — Codécision, macrodécision.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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